Après...
Après l'explosion de la bombe, le silence. Les débris et les poussières qui retombent, la fumée qui se dissipe. Un Ground Zero intérieur.
Difficile de reprendre la plume publiquement et d'écrire un post après Mitou. J'ai cependant beaucoup écrit dans le secret de ma chambre, car mon livre est quasiment prêt. 200 pages de vécu pure jus(ju). Mon propre récit est terminé, reste désormais à inclure les parties alimentées par mes trois partenaires de voyage intérieur, chacune venant donner des éclairages, des explications, des regards et un vécu différents des miens.
Mais comment rompre le silence radio dans lequel je m'étais muré ? Car on n'a plus envie de parler, après avoir dit l'horreur.
Surtout lorsqu'il faut faire face à ce que l'on nomme la "double peine" : celui qui brise l'omerta est l'oiseau de mauvais augure, celui qui salit la mémoire, détruit la famille, crée la souffrance, fait jaillir la honte et réveille la culpabilité. Il devient responsable et dépositaire du malheur collectif.
Si cela peut paraître injuste ou même un pur non sens (car peut-on réellement porter la responsabilité d'avoir été soi-même bousillé ?) c'est pourtant l'âpre réalité des réactions qui sont renvoyées à celui qui a parlé.
On a beau l'anticiper et s'y préparer, mettre une armure, l'acier n'arrête pas les paroles. Ces paroles, ces réactions, elles impactent, abîment, versent du vinaigre bouillant sur notre propre blessure de victime, restée béante. Elles vont être difficiles à oublier.
L'acier n'empêche pas non plus la culpabilité de faire souffrir atrocement ceux que l'on aime, par notre simple prise de parole. Car ils souffrent, c'est indéniable, et leur douleur est aussi vive et légitime que la mienne.
Les conséquences de la parole sont presque plus insupportables que la blessure initiale, finalement.
Tout cela nourrit l'envie de se taire encore plus fort, de ne plus prendre la parole, jamais. De s'en aller.
D'ailleurs, vous avez remarqué ? Je raconte tout cela à la troisième personne du singulier, comme s'il s'agissait d'un autre. Une sorte de détachement protecteur, une pudique distance. Je parlerai donc en "Je", désormais.
Cela importe peu finalement, cela fait partie du processus "normal" et mes propres états d'âme et souffrance, quoiqu'importants et légitimes, finiront par guérir, je le sais. Je suis costaud, et bien entouré.
Car l'essentiel est ailleurs: le venin sort, lentement mais sûrement, et c'est tout ce qui compte. Collectivement, comme individuellement, selon les métabolismes respectifs. Je continue de croire qu'un nettoyage de fond est à l'œuvre.
Et en effet, après la stupeur et la colère, après l'acide et la brûlure, deux rais de lumière déchirent le brouillard : l'un, qui fait partie des personnes les plus susceptibles d'être détruites, ose courageusement venir me voir, parler, écouter, essayer de comprendre. Me rappeler que je suis toujours de ce clan, important, aimé. Il n'est pas d'accord avec ce que j'ai fait, il est en lutte contre lui, contre moi, contre les autres, contre cette "histoire"... Dix mille questions le hantent, il n'est sûr de rien, mais au fond, il m'aime, et voulait simplement me le rappeler. Et puis une autre personne m'appelle, prend des nouvelles, m'embrasse. Nous évitons soigneusement le sujet qui fâche, l'affection est toujours là, douce, palpable.
Le temps est à l'œuvre.
Ce qui est ahurissant -et très frustrant- dans ce genre d'histoire malsaine, c'est l'incroyable absurdité de la situation qui en découle.
Car absurde, ça l'est, et copieusement: il y a en effet la Team Silence, qui préfèrerait ne pas dire, ne pas entendre, ne pas savoir ni même deviner, respecter le secret si bien gardé par ceux qui n'ont rien voulu dire avant. Faire preuve de la même retenue et de la même pudeur, et ne parler de "ça" qu'à voix basse dans les alcôves. Ou plutôt chez "les spécialistes, qui sont là pour ça". La Team Silence veut absolument protéger la famille du mal.
Et puis, il y a la Team Parole Libre, qui préfèrerait que les non-dits soient levés, que la vérité soit mise en pleine lumière. Qu'il n'y ait plus de secret. Pas forcément dans un grand déballage indécent de détails infectes, non plus qu'une vengeance mal venue, car l'idée n'est pas de cracher une vérité crue au visage des autres dans un accès de rage. Mais simplement vouloir que ce-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom soit nommé. Que la chaîne de transmission maligne soit enfin rompue. La Team Parole Libre veut, coûte que coûte, protéger la famille du mal.
Vous voyez ? C'est absurde, non ? Ces deux camps qui se font face sans se comprendre, pourtant ardemment animés par ce même noble but : éviter de voir ceux que l'on aime si fort, souffrir.
Alors hésiter, entre le silence qui étouffe, et la parole qui lacère. Et choisir.
Ce que tout cela m'apprend, c'est qu'il n'y a pas de camps, finalement. Pas de méchants ni de gentils, pas de bons ni de mauvais. Personne n'a tort, mais personne n'a raison non plus. Au fond, il n'y a même pas d'injustice ni de rejet.
Il n'y a que des souffrances qui ne se comprennent pas. Entre elles, l'espoir, comme une graine encore endormie dans la terre froide. Une semence qui puise ses nutriments dans la guérison de chacun et chacune pour germer. Plus tard, quand il sera temps.
L'espoir qu'un jour nous serons plus forts ensemble. Certes, jamais vraiment guéris, mais infiniment plus lumineux.
Début janvier, alors que je n'avais aucunement conscience de la grenade enfouie en mon inconscient, j'avais intuitivement décidé que 2023 serait l'année de la libération. On y est, je crois, non ?
Bonne nouvelle: nous sommes début juin, imaginez donc ce qui peut encore être accompli en sept mois ! Alors au boulot !
Et pour moi cela commence maintenant, alors que je sors (enfin) de ma grotte en coton et me remets à parler.
Love <3
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