Ce voyage récent en Mongolie, les propos des chamanes, et surtout les rituels qu'ils font pour incarner leurs esprits, ont fortement résonné avec une chose que j'avais déjà intuitée par la passé.
Le point de départ de cette prise de conscience a été le départ précoce de nos parents. Mes sœurs et moi avons en effet eu à vivre cette double épreuve, notre papa parti en 1999, puis maman en 2018. J'avais respectivement 20 puis 39 ans.
Au-delà de ce que ce genre d'évènement provoque sur ta psyché (maturité, prise de recul , gestion du deuil, priorités de vie...) cela change aussi ton rapport au quotidien. Tous ceux qui ont perdu un être cher trop tôt, ou qui ont eux-mêmes frôlé la mort ou vaincu une maladie grave, vivent avec ce petit point de conscience supplémentaire, qui transforme leur regard sur le monde : non seulement ils savent intellectuellement que tout peut s'arrêter brutalement, mais ils l'ont vécu dans leur chair. Ainsi, ils vivent une vie++ dans laquelle tout devient plus précieux, plus savoureux, plus grand. Comme un petit voile qui se serait enlevé de leurs cœur, affûtant leurs émotions, amplifiant leurs sensations, maximisant leur capacité à profiter de l'instant présent.
"Tu ne nous apprends rien, mec !" me direz-vous avec raison. Car oui, tout cela est évident, déjà bien connu et expérimenté par bon nombre de personnes. Le partage de cette prise de conscience va donc un cran plus loin, et mon escapade mongole tend à me la confirmer. [Petit disclaimer d'usage: rien de ce que je n'avance ici n'est "prouvable" , il n'est évidemment que question de croyances intimes. Faites-en ce que vous voulez !]
Tout le monde sera au moins d'accord sur ce point: lorsque l'on meurt, notre corps physique reste sur Terre et part au "recyclage": ses atomes retournent dans le cycle de la vie pour refabriquer d'autres choses. "Ton corps n'est que prêté" dit la sagesse amérindienne.
Notre âme, quant à elle, ainsi que ses différentes composantes énergétiques (mémoires, émotions, pensées, compréhensions...) retourne dans l'invisible. L'on redevient pur conscience. Les milliers de milliers de témoignages d'expériences de mort imminente, de même que ceux qui parviennent à sortir spontanément de leur corps, nous informent que dans cet état de pur conscience l'on se déplace à la vitesse de la pensée. Ainsi, l'on peut tout aussi bien retourner voir des proches, qu'explorer le cosmos ou revisiter des souvenirs ou des scènes. Si l'envie vous en prend vous pouvez même l'espace d'un instant injecter votre conscience dans un tabouret de bar au Fouquet's pour en expérimenter la vie trépidante (ce qui ne sert pas à grand chose je vous l'accorde, mais au moins vous pourrez dire: "j'ai fait ça !")
Il est rapporté également que le fait d'être pure conscience permet d'invoquer ce qui nous traverse: souhaitez-vous une glace à la vanille fuschia avec un topping au wasabi ? POUF ! Vous pouvez la faire apparaître dans votre main. Bref, c'est comme un rêve, mais en XXL.
Sauf que...
Vous êtes pure conscience, ce qui signifie que vous êtes désormais dépourvu(e) de corps physique. Et un corps physique, certes cela entrave votre liberté d'action et de mouvement, c'est lourd, souvent coincé ou douloureux, pataud, mal fichu, certains disent même "c'est comme porter un gant trop serré et mouillé" (ça fait rêver hein ?!) mais c'est surtout un formidable interface sensitif pour ressentir pleinement les choses matérielles de cet univers.
Et en effet:
Ressentir la caresse d'une brise d'été sur sa peau chauffée au soleil,
Croquer les premières fraises ou une mirabelle juste cueillie sur l'arbre,
Sentir le parfum suave du chèvrefeuille un soir après une ondée,
Laisser trainer ses mains dans les fleurs de lavande et puis les respirer,
Faire une sieste au soleil, bercé du doux bourdonnement des insectes, du vent dans les peupliers et du chant des hirondelles fendant l'air,
Lécher ses doigts après une crêpe dégoulinante de chocolat,
Se dissoudre dans un bon bain chaud,
Vibrer au son de la musique et des mouvements de la foule dans un concert,
Caresser les cheveux de son enfant,
Sentir la neige glisser sous ses skis et le vertige de l'adrénaline dans le ventre,
Humer les fragrances mêlées de sable chaud, de bruyère, de pin et d'océan, au son des cigales et des enfants qui jouent au loin,
Contempler un coucher de soleil depuis un bateau, dansant doucement sous la houle,
Embrasser son amour de ses lèvres,
Sniffer la tête de son bébé en sentant son petit visage enfoui contre la peau,
S'endormir dans des draps propres,
Savourer un spritz en riant avec des amis,
Être grisé par la vitesse d'un vélo qui dévale une pente,
Serrer ses grands-parents dans ses bras,
Enfiler un casque audio, s'allonger et laisser la mélodie que vous adorez le plus inonder tout votre être pour devenir la musique,
Danser un slow,
...
Pour tout cela, pour vivre pleinement ces moments si délicieux qui font toute la beauté et la délicatesse de la vie sur Terre, il faut... un corps de chair et d'os !
Car ce sont, selon moi, des choses que l'on ne peut plus ressentir aussi authentiquement, aussi justement, lorsque l'on est de l'autre côté dans l'invisible ! Un peu comme ce bon capitaine Barbossa et sa pomme verte sans saveur ni odeur, dans Pirates des Caraïbes.
Je suis convaincu que les âmes désincarnées aiment pouvoir profiter, ne serait-ce qu'un court instant, des sensations de vie matérielle que procurent un corps vivant. C'est d'ailleurs ce que semblent vivre les chamanes qui incorporent leurs esprits : ceux-ci leurs demandent souvent de manger, sentir ou boire telle ou telle chose incongrue. Comme pour profiter encore un peu de ce qu'ils aimaient de leur vivant !
Je pourrais épiloguer encore longtemps, rien n'y fera : de toute façon, nous n'aurons le fin mot de tout cela qu'une fois passés de l'autre côté !
Alors en attendant, et tout en nous affranchissant de ce sentiment un peu triste et fataliste "qu'il faut profiter car tout peut s'arrêter brutalement", profitons PLEINEMENT de la vie, à chaque instant, et des milliers de cadeaux qu'elles nous offre chaque jour. Jouissons des ressentis que nous offrent ce monde physique, grâce à notre incroyable corps et ses millions de terminaisons nerveuses.
Bref, kiffons :)
Julien (qui se délecte d'un grain de muscat juteux, miam !)
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